Pourquoi Éric Zemmour a renforcé le camp national — réponse à Marine Le Pen
Presse
Tribune libre d’Éric Dillies, ancien secrétaire départemental FN du Nord
« Felix qui potuit rerum cognoscere causas »
Virgile, 1er siècle avant J-C
Selon Marine Le Pen « Éric Zemmour a affaibli le camp national, ça c’est une certitude » (Nouvel Obs, 27/05/2022)
Je me suis penché sur les résultats de ce 1er tour de l’élection présidentielle. Pour comprendre ce qui s’était passé, j’ai comparé le premier et le second tour et je les ai mis en perspective avec les résultats de la présidentielle de 2017.
Je n’avais toujours pas diffusé cette analyse mais cette déclaration me donne l’occasion de la rendre publique.
L’apport d’Éric Zemmour dans cette élection
Comparons le premier tour des élections présidentielles de 2017 et de 2022. En 5 ans, Emmanuel Macron a progressé de 1 130 000 voix quand Marine Le Pen en gagnait seulement 450 000.
Plus intéressant, additionnons les voix des électeurs « patriotes » de toutes obédiences du 1er tour de 2017 : on atteint 28,3 % des votants. Cinq ans plus tard, leur nombre s’élève à 35,41 % en progression de 7 points, soit 25 % d’augmentation. C’est remarquable mais rarement évoqué.
Ces nouveaux électeurs venus grossir les rangs des électeurs « patriotes » sont dus essentiellement à Éric Zemmour. Il est le seul candidat de 2022 qui ne participait pas à l’élection de 2017. C’est lui qui a converti une partie de la bourgeoisie française au constat du « Grand remplacement ». Un électorat qui jusqu’alors votait à droite et s’était toujours refusé à voter « Le Pen ».
Au regard de ce qu’il espérait, Éric Zemmour fait une contre-performance dans cette élection. Sans vouloir minimiser les erreurs commises lors cette campagne, elle s’explique en grande partie par le danger d’un second tour « Jean-Luc Mélenchon-Emmanuel Macron ». Les électeurs « patriotes » ont préféré soutenir celle qui avait le plus de chance de figurer au second tour pour éviter le scenario catastrophe. Le vote utile a opéré un report massif des votes vers Marine Le Pen. Mais sans cela, aurait-elle gagné 450 000 voix par rapport au premier tour de 2017 ? Très probablement non. Elle aurait très certainement perdu des voix. Dans tous les cas, sa présence au second tour est une victoire en trompe l’œil.
Le mirage politique de Marine : convertir la gauche
Marine Le Pen a une fois de plus fondé toute sa stratégie du 2nd tour sur la possibilité d’attirer à elle les électeurs de gauche. Et, pour sa défense, le plus gros gisement de voix se trouvait à gauche de l’échiquier politique. Cela s’est traduit par une excommunication en règle d’Éric Zemmour, puis le refus brutal et affiché de toute alliance future avec lui. En fait, pour plaire à la gauche, elle ne veut aucune alliance à droite. Elle rappelle étrangement Jacques Chirac : l’homme de droite qui refusait d’être élu par les électeurs de droite et qui a fini par faire la politique de la gauche.
Analysons les résultats du second tour de 2022 : Emmanuel Macron fait 18,7 millions de voix. Il perd près de 2 Millions de voix par rapport à 2017. Marine Le Pen, quant à elle, fait 13,3 millions. Soit près de 2,6 millions de plus qu’en 2017. Un chiffre en très nette augmentation par rapport à 2017 mais qui correspond au report quasi-unanime des électeurs « patriotes ».
Quant aux électeurs de gauche, elle n’a quasiment rien récupéré : 1 000 000 de voix chez les abstentionnistes et sur la gauche, soit à peine 8 % de son électorat... Très clairement, les électeurs de gauche ont massivement voté pour Macron ou se sont abstenus. Ils n’ont qu’à de très rares exceptions franchi le « cordon sanitaire » mitterrandien. Pour résumer, sur les cinq millions de voix gagnées par Marine Le Pen entre les deux tours, près de 80% viennent de la droite et seulement 20% de la gauche.
Vers une nouvelle recomposition politique
Pour la 3ème fois consécutive, la stratégie défendue par Marine Le Pen de réconciliation des populismes par-delà le clivage droite/gauche a échoué. Certains seraient tentés de répondre naïvement : « la prochaine fois sera la bonne ! ». Le Rassemblement National le clame à tue-tête. Comme s’il cherchait à se persuader que ce n’est qu’une question de temps. Or, c’est là que le problème se pose : plus on avance dans le temps, plus la gauche populiste se communautarise et s’islamise et s’éloigne donc de la Droite populiste. Dans l’esprit de Marine Le Pen, c’est la question sociale qui devait rassembler les populismes de Gauche et de Droite. Or, c’est la question identitaire qui les sépare désormais.
Le projet de rassembler les populistes de droite et de gauche est donc un mirage de plus en plus évident et condamne à l’échec le « camp patriote » qui s’obstinerait à persévérer dans cette voie.
En d’autres mots, comment Marine Le Pen cataloguée à la droite de la droite peut-elle s’imaginer être ralliée par la gauche de la gauche ? Et surtout quand on est face à un candidat de gauche au second tour...
Une chose est marquante dans cette élection : Éric Zemmour a convaincu une partie de l’électorat qui jusqu’alors votait Macron ou LR, à l’évidence du « Grand remplacement ». La conséquence est simple : cet électorat a eu le courage de s’affranchir du « politiquement correct » et a voté Le Pen au second tour. Éric Zemmour se révèle donc comme une sorte de sas de décontamination idéologique ; c’est essentiellement lui qui fabrique de nouveaux électeurs pour le camp « patriote ».
Certains annoncent la disparition prochaine de Reconquête ; ils prennent leurs désirs pour la réalité. En fait, ils ne voient pas la recomposition politique à l’œuvre qui s’impose. Éric Zemmour a compris que la stratégie de Marine Le Pen était une illusion. En observateur attentif de la vie politique et de l’histoire, il a devancé ses contemporains. Probablement, est-ce la raison pour laquelle il a eu tout le système contre lui.
Mais ce qui restera de cette élection est l’émergence d’un nouveau clivage droite/gauche dont Éric Zemmour est le révélateur, clivage qui intégrera ce qui n’existait pas sous le général De Gaulle : la mondialisation et l’immigration.
En conséquence, balayer d’un revers de main l’alliance tant souhaitée par de plus en plus d’électeurs « patriotes » comme l’a fait Marine Le Pen est une idiotie et une faute tragique. Son père cherchait hier des alliés à droite ; Marine les rejette aujourd’hui et cherche désespérément des alliés à la gauche de la gauche.
Le syndrome Chirac…